Kery James : « Le rap est une forme de révolution ! »
Tiré de l'Humanité : Fête de l'HumanitéScène Zebrock. Ni bling-bling, ni filles dénudées mais une prose incisive et intransigeante : le «sage» du hip-hop français présentera son dernier album, déjà disque d’or, le 13 septembre à la Fête de l’Huma.« Les vrais révolutionnaires ne font pas de braquage. » Voilà ce que dit Akhenaton, le leader d’IAM, à propos de Kery James. La révolution est effectivement dans les gènes de ce Haïtien. Kery James semble être l’ultime joker à sortir afin de faire taire ceux qui « pensent qu’en banlieue on ne peut pas penser puisqu’on pense qu’à danser, rapper sur des beats cadencés ». Dixit le suprême NTM. Kery est aux antipodes de la caricature du rappeur lambda. Ici, ni bling-bling, ni filles dénudées ou voitures de sport mais une prose incisive et intransigeante. Il sera sur la scène Zebrock en septembre à la Fête de l’Humanité.
Quel sens donnez-vous à votre participation à la Fête de l’Humanité ?Kery James. Très sincèrement, ma venue ne témoigne pas d’un - engagement politique concret aux côtés de la gauche. Mais il est évident que si cela avait été un festival organisé par le gouvernement en place, je n’y serais pas allé. J’ai ma manière de faire des choses pour que cela avance concrètement, à travers ma musique et ce que je fais dans la vie de tous les jours. C’est aussi politique.
Parlez-nous de votre association, ACES…Kery James. ACES, comme apprendre, comprendre, entreprendre et servir. C’est une association qui fait du soutien scolaire avec les collégiens et propose des financements d’études supérieures pour les plus âgés. Le but est de revaloriser les études en banlieue. On a le soutien de pas mal de parrains issus des quartiers en difficulté. Des chefs d’entreprise, des artistes et autres, qui sont considérés comme des modèles par beaucoup de jeunes de banlieue. L’idée est de rappeler que la voie la plus sûre pour accéder à une situation financière stable ou forte est de poursuivre les études, même si certains croient qu’on peut s’en sortir autrement.
Vous vous rendez souvent dans des lycées de banlieue avec d’autres artistes. Avez-vous l’impression que votre message passe bien ?Kery James. J’ai la chance de faire une musique qui est bien reçue et qui ne laisse pas les gens indifférents. Cela m’encourage à poursuivre. Ils me disent qu’il faut que je continue, que ce que je fais a un rôle éducatif. Pour certains, c’est une source d’espoir. J’ai l’impression que je ne fais pas les choses pour rien.
Akhenaton, du groupe IAM, a dit que vous êtes un révolutionnaire. Qu’est-ce que cela vous évoque ?Kery James. Je me sens révolutionnaire dans la mesure où quand une majeure partie d’un mouvement va dans un sens, moi je vais dans l’autre. Trop souvent, on se contente de penser : « Je suis une victime. » Moi, je préfère me dire : « Je ne suis pas une victime mais un soldat. » Le courant majoritaire consiste à n’accuser que l’État uniquement, sans jamais se remettre en question. Moi, je vais à contre-courant.
Quand je regarde mon parcours, d’où je viens, avec qui j’ai grandi, ce à quoi j’ai été exposé, le fait que j’en sois parvenu là aujourd’hui et que je ne sois pas mort ou en prison, c’est une forme de révolution.
Comment vous situez-vous dans le rap ?Kery James. Les gens me donnent une place à part. Mais, selon moi, ce que je dis dans mes textes est l’essence même du hip-hop. Je fais du hip-hop tel que je l’ai connu à mes débuts. Lorsque je l’ai découvert, j’écoutais Public Enemy. Comparé à ce que disait ce groupe il y a quinze ans, mon message n’a rien d’extraordinaire. C’est parce que les autres ont dévié, qu’ils sont partis vers autre chose que j’ai l’air spécial.
Votre façon de voir n’est effectivement pas sans rappeler le message de NTM il y a dix ans…Kery James. Ce sont les valeurs qui étaient défendues avant dans le hip-hop. On dénonçait une situation, les difficultés des jeunes dans les banlieues… On avait besoin de groupes tels que NTM, mon ancien groupe Idéal J ou IAM, qui décrivaient des réalités. Aujourd’hui, les rappeurs ne dénoncent plus vraiment les choses. Beaucoup disent : « On deale, on vole, on braque, on fume, on est comme ça. » En fait, ils glorifient les problèmes.
Dans la chanson À l’ombre du show-business, en duo avec Aznavour, vous dites que le rap est marginalisé. Pourtant c’est un genre musical qui devient de plus en plus exposé…Kery James. C’est une musique qui vend beaucoup, quand bien même s’il s’adresse aux jeunes, plus enclins à télécharger. Quand Seyfu, par exemple, a sorti son album, il est devenu très vite numéro 1 du top album. Quelques mois après, je sortais à mon tour un album, qui a lui aussi très bien marché. Mais malgré l’énorme succès de Grand Corps Malade, dont l’univers est très proche du rap, c’est un genre qui est encore sous-représenté dans les émissions de télé. On compte sur les doigts d’une main la présence de rappeurs en prime time.
Pensez-vous que le rap est sous-estimé ?Kery James. Ce qui me gêne, c’est que l’on considère souvent que le rap n’est pas un art. Pour ma part, je préfère que l’on me présente comme un artiste plutôt que comme un rappeur. Le rap est victime de trop nombreux clichés. Des images telles que rappeur égalent jeune black de banlieue, qui crie dans son micro et profère des insultes. Le rap souffre de cette image que nous avons nous-mêmes beaucoup véhiculée. C’est le retour de bâton.
Samedi 13 septembre, scène Zebrock.
Entretien réalisé par Alice Samson
http://www.humanite.fr/2008-07-17_Medias_Kery-James-Le-rap-est-une-forme-de-revolutionPhoto: DR